Bien que sanctionné au titre de la concurrence déloyale, le dénigrement est un procédé aussi vieux que le commerce. Facilité par Internet et la numérisation, il est important d’en connaître les contours, afin de ne pas le confondre avec la notion voisine de diffamation.
La distinction est fondamentale car les deux qualifications obéissent à des régimes juridiques distincts. Alors que la réparation du dénigrement doit être poursuivie sur le fondement de la responsabilité délictuelle prévue par l’article 1240 du Code civil, la diffamation est un abus de la liberté d’expression réprimé par la loi du 29 juillet 1881 relative à la liberté de la presse et comporte une sanction pénale. En outre, si le dénigrement relève en principe du Tribunal de Commerce (à moins que l’auteur ne soit pas commerçant), l’action en diffamation est de la compétence exclusive du Tribunal Judiciaire. Elle est soumise à une prescription très courte de trois mois à compter de la publication des propos litigieux, contre cinq ans en matière de dénigrement. Autant dire qu’il faut aller vite en matière de diffamation et être particulièrement vigilant car l’acte introductif d’instance doit comporter un certain formalisme à peine de nullité.
Alors ? Comment distinguer ces deux notions ? A priori, la définition de chacune est assez claire. Selon la Loi sur la presse du 29 juillet 1881, la diffamation est « l’allégation ou l’imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ». Quant au dénigrement, la jurisprudence le définit comme le fait de jeter publiquement le discrédit sur les produits, les services, l’entreprise ou la personnalité d’un concurrent. Il s’ensuit que le dénigrement implique que le discrédit soit dirigé contre un produit, un service ou une entreprise, alors qu’en matière de diffamation, c’est l’honneur ou à la considération d’une personne physique qui sont visées.
La distinction peut néanmoins s’avérer délicate lorsque les allégations visent une personne physique, par exemple le dirigeant d’une entreprise mais ont en réalité pour seul objet de dénigrer les prestations fournies par celle-ci. Dès lors que l’action en dénigrement est fondée sur la responsabilité délictuelle qui nécessite la réunion de trois conditions : une faute, un préjudice et un lien de causalité, il convient alors d’apprécier le véritable « mobile » de la faute et le contexte dans lequel elle a été commise. Le dénigrement est caractérisé par une intention de nuire commercialement. Si les propos litigieux ne visent pas seulement à discréditer la personne elle-même mais à travers elle, la qualité des prestations fournies, la qualification de dénigrement doit être retenue. C’est ce qu’a estimé la Cour de cassation s’agissant par exemple « d’allégations portées à l’encontre du gérant d’une société qui n’avaient pour objet que de mettre en cause la qualité des prestations fournies par celle-ci dans la mesure où elles émanaient d’une société concurrente de la même spécialité exerçant dans le même secteur d’activité, qui étaient proférées dans le but manifeste d’en détourner la clientèle » (Cass., 1ère civ. 5 déc. 2006, n°05-17.710).
Mais cette appréciation ne signifie nullement que l’auteur du dénigrement soit nécessairement un concurrent, même si c’est le cas le plus courant. Selon la jurisprudence, le dénigrement peut être caractérisé contre toute personne, quelle que soit son activité et sa présence sur un marché. Il a ainsi été jugé que « même en l’absence d’une situation de concurrence directe et effective entre les personnes concernées, la divulgation par l’une, d’une information de nature à jeter le discrédit sur un produit commercialisé par l’autre, peut constituer un acte de dénigrement » (Cass. com., 20 novembre 2007, n°05-15.643 ; Cass. 1ère civ., 11 juill. 2018, n°17-21.45 ; Cass. com., 4 mars 2020, n°18-15.651). Cette position s’explique par le fait que l’action en concurrence déloyale, fondée sur la responsabilité civile, sanctionne une faute dommageable ; et ce, quelle que soit la qualité de son auteur. Les critiques négatives ou malveillantes sont toutefois appréciées avec moins de sévérité lorsqu’elles émanent de consommateurs.
Il suffit donc que les allégations litigieuses aient trait à des agissements intéressant l’exercice de l’activité commerciale et qu’elles aient pour objet ou pour effet de jeter le discrédit sur les produits ou prestations de l’entreprise pour que le dénigrement soit constitué. Ont ainsi été qualifiés de dénigrement les accusations de vol à l’encontre d’un dirigeant de société ou le fait de relater des difficultés de paiement d’une entreprise (Cass. com., 30 sept. 2020, no 18-25.204).
Contrairement à la diffamation, il n’existe pas d’exception de vérité en matière de dénigrement. Le fait de démontrer l’exactitude des faits révélés ne suffit pas à exonérer l’auteur de sa responsabilité. (Cass. com., 23 mars 1999 ; (Cass., Com., 12 mai 2004 ; Cass. com., 28 septembre 2010).
Dès lors, puisque ni la qualité de l’auteur ni l’inexactitude des faits ne suffisent à qualifier le dénigrement, celui-ci sera constitué chaque fois que seront réunies les trois conditions suivantes :
- Des propos péjoratifs.
Il doit en effet s’agir d’allégations outrepassant le droit à la critique relevant de la liberté d’expression. L’intention de nuire doit se caractériser par la volonté de porter atteinte à l’image de marque d’une entreprise, de ses produits ou services. Ainsi, dans un arrêt de principe, la Cour de Cassation a considéré qu’il n’y avait pas de dénigrement lorsque « l’information en cause se rapporte à un sujet d’intérêt général et repose sur une base factuelle suffisante et sous réserve qu’elle soit exprimée avec une certaine mesure » (Cass. Com., 4 mars 2020 n°18-15.651).
- Les propos doivent être rendus publics.
Quel que soit le mode de communication (écrit, image, sonore), une publicité extérieure est nécessaire ; ce qui n’est pas le cas par exemple de la diffusion d’une note interne.
- Les propos doivent viser une entreprise identifiable, sa marque, ses produits ou services.
Il conviendra donc de prouver que ce discrédit est la cause d’un dommage. L’indemnisation consistera à la réparation du préjudice moral (l’atteinte à l’image de marque ou la réputation de l’entreprise), ainsi qu’à celle d’un éventuel préjudice matériel résultant de la perte de clientèle et par conséquent, de marge commerciale.